Escale au Vietnam

Je ne sais pas ce que cela fait d’être vieille. J’ai toujours ressenti une certaine crainte à l’idée de la vieillesse. Je n’ai jamais aimé la voir dans les rues de Paris, la trouvant dure, triste ... Et puis, il y a tous ces vieux que l’on enferme, ceux que l’on cache. Une mort sociale en bref. Mais pour ce qui est du Vietnam, c’est autrement. Je vois là-bas une vieillesse assumée. 


Après avoir été quelques jours dans la banlieue de Hue - chez une amie - nous sommes allées rendre visite à ses parents. Ils habitent dans le Nord du Vietnam, dans un petit village. Il y a peu d’habitants ; tout le monde se connaît. Les gens parlent même d’une maison à une autre. Et quand les femmes sont au marché, les hommes sont au travail. 


Dans la maison de sa mère vit le grand-frère avec sa femme et ses enfants. Dans celle d’à-côté, c’est l’autre frère. Autant vous dire qu’une grande partie de la famille vit au village puisque les cousins, les oncles et les tantes y demeurent également. Maisons ouvertes, ils vivent entre eux. Pour les hommes, une grande partie des repas se font à l’alcool de riz à la différence des femmes qui s’abstiennent. Et sur la table, différents plats de différentes récoltes. Ils sont le dur labeur de sa mère. Elle n’a que cinquante-six ans mais son visage semble, pourtant, si fatiguée ; elle pourrait être bien plus belle qu’elle n’en paraît. 


Son mari, lui, est maçon. Il travaille dur aussi ; ses tâches sont pénibles, bien trop physiques pour un homme de son âge. 


C’est un homme calme, d’une douceur appréciable. C’est une femme de caractère, une acharnée. Ils forment un beau couple. Un couple qui lutte pour survivre. Leur vie est simple. Et l’on peut sentir, lors des repas, un profond respect pour ces deux-là. Ce sont des paysans. Ils ont sué toute leur vie et leur famille est le fruit de leurs efforts. 


La mère tente de me parler mais je ne la comprends pas. Alors, je lui réponds d’un sourire gêné. Même si la langue m’est inconnue, son regard me touche. Sa fatigue est belle, presque poétique. Elle pourrait être l’oeuvre d’un Zola, elle, la femme de la classe ouvrière. Le cœur sur la main, elle m’offre tout ce qui lui est possible de m’offrir : de la nourriture, des instants, sa maison. 


Cette femme est vieille de son travail, de la mère qu’elle a été et de la grand-mère qu’elle est devenue. Elle reste, pourtant, un des plus beaux regards qu’il m’ait été donné de contempler - ne pouvant qu’admirer sa simplicité, son courage. C’est important de les voir ces gens-là, ceux qui préservent la culture d’un pays, ne vivant de rien, du nécessaire seulement. Elle est peut-être une femme comme tant d’autres mais, cette femme, je l’ai vu. Je lui ai parlé. Et elle est, aujourd’hui, une part du Vietnam que je connais. 


Et puis, il y a la très vieille dame. Je ne connais pas son nom. Je sais seulement d’elle qu’elle est la cousine par alliance du père … ou la tante. Je ne sais plus bien. Elle doit avoir dans les quatre-vingts-cinq ans ; ses dents sont vieilles, pleines de bétel, et son sourire est rouge. Son visage, marqué de rides, est de ceux qu’on ne verra jamais en France. Elle ne le cache pas, sourit et semble aimer ça. Cette très vieille dame ne semble pas être une adepte des motos. Elle n’a ni téléphone, ni télévision. C’est une dame de la campagne, du Vietnam de traditions. Son rire est fort, facile ; c’est d’ailleurs une des seules choses que je comprenne. 


De ses doigts courbés, elle caresse ma peau. Comme s’il était question d’une découverte. Mais je n’ai pas l’habitude que l’on me touche. En tout cas, pas de cette manière. Alors, je me laisse prendre par ce sentiment d’étrangeté. C’est agréable finalement. Cette dame me plaît. Oui. J’aime le regard qu’elle porte sur moi. Il n’y a pas un jugement, juste de la bienveillance. 


Puis vient un après-midi, je passe par chez elle. Elle me voit et m’invite à entrer. Elle est en train de travailler. Elle me propose de rester et de regarder. De ses doigts, et de ficelles seulement – d’une matière inconnue – elle construit un de ces tapis qui nous sert de table. Elle me propose d’essayer. Puis sentant ma crainte de ne pas savoir, elle rigole un bon coup et se remet au travail. Je prête alors attention à la précision de son geste, à la direction prise mais aussi à sa grande patience. Dans une société comme la nôtre, où tout va trop vite, il existe encore des endroits de patience. Des endroits où la lenteur à son apogée est sacrée, comme un art de vivre...


Commentaires

  1. Coucou Ambre,
    C'est là une fort belle page, c'est l'âme de cette dame qui se reflète dans ces yeux, dans son sourire, et en France aussi il existe encore de ces personnes que la socièté de consommation n'a pas atteint,
    Je souris à cette appelation de " vieille dame ".... pour moi qui ne suis pas loin de l'âge de cette dame... je souris , la vieillesse du corps il est difficile d'y échapper, mais la vieillesse de l'âme il est possible d'y échapper, ne pas rester inactive, se contenter de ce que l'on a sans envier ceux qui possèdent, s'entourer de jeunes, savoir les apprécier, les comprendre, même si ce n'est pas parfois notre mode de Vie, garder le sourire, sortir et avoir encore des projets, même s'y parfois ils seront devenus irréalisables...
    Mardi je reprends les cours d'italien, je suis devenue la plus âgée après la perte d'une amie, et l'arrêt d' bons moments une autre.... De bons moments que j'espère pouvoir conserver le plus longtemps possible... un elixir de jeunesse !
    Je te souhaite un bon séjour au Cambodge, j'ai vu tes premières photos que ta mère m'a transmises, elles sont super, tu es pleinement heureuse d'avoir retrouvé tes amis,
    Bacioni della tua " vecchia " nonna

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  2. Bonsoir Ambre, je viens de lire tes textes qui sont de toute beauté, tu sais regarder, écouter, observer, respecter et aussi apprendre! Je pense que tu as déjà compris que la générosité est la plus grande dans les pays pauvres. J'adore lorsque tu parles de cette dame âgée au Vietnam avec son sourire rouge, je la vois, j'observe ses rides et elles sont belles.
    Les sillons d'une vie sur un visage.
    Tu fais un travail merveilleux!
    Irène

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